Le vin bio en dix questions

L’irrésistible ascension du bio



vin bio


Définition, contraintes de production, caractéristiques gustatives, labels, impact sur la santé et sur l’environnement... Tout ce qu’il savoir pour comprendre les enjeux de cette production viticole et en apprécier les saveurs

Le vin bio reste petit dans le vignoble français et international, mais il ne cesse de gagner du terrain. Inexorablement. Aussi, il soulève nombre de questions, qui embrasent les spécialistes et
peuvent déboussoler le consommateur : sa définition, ses bienfaits pour le vigneron ou pour celui qui le boit, sa qualité gustative, son prix, ses labels... Ces questions, nous essayons d’y répondre dans cette enquête en dix points. Pour vous aider à y voir plus clair. Et à boire en toute connaissance de cause. 


Qu’est-ce qu’un vin bio?
Le vin bio doit respecter un cahier des charges établi au niveau européen en 2012. La certification est donc toute récente. Avant cette date, les normes portaient uniquement sur la terre, sans se soucier de ce qui se passe au chai. Désormais, les critères à respecter touchent toute la chaîne de production : préserver la santé de la plante et des sols, respecter l’homme et son environnement, y compris durant la vinification en cave.
Durant ce processus, les produits chimiques de synthèse sont prohibés: les pesticides et herbicides, surtout, mais aussi les fertilisants, engrais, fongicides... En revanche, lors de la vinification, les ajouts de produits naturels sont autorisés, comme les tanins, copeaux de bois, sucres ou levures industrielles. L’ajout le plus connu, à la vigne comme lors de la vinification, est celui des sulfites. On le trouve dans tous les vins, car c’est un produit naturel. Mais il doit être limité pour les vins bio et encore plus pour ceux élaborés en biodynamie. C’est le plus connu du public, car il est mentionné sur l’étiquette et peut provoquer des maux de tête.
Le seul produit chimique obligatoire, pour un vin traditionnel comme pour un bio, est le traitement contre la flavescence dorée de la vigne, une maladie contagieuse qui fragilise la pérennité de la plante et qui est répandue dans plusieurs départements.
La production d’un vin bio relève aussi d’une philosophie: elle implique d’être plus préventif que curatif. Cela signifie que le vigneron doit prendre du temps pour observer. Une connaissance aiguë des vignes est indispensable pour en renforcer les défenses naturelles.

Quelle différence entre bio, biodynamie et vin naturel?
Attention, sujet sensible ! Car le consommateur a tendance à les confondre ou, du moins, à les mettre dans le même panier des vins plus « sains » que les traditionnels. Cette confusion crispe les défenseurs respectifs du bio, de la biodynamie et du vin naturel, qui se chamaillent sur les faiblesses et les vertus de chaque label. Et il n’est pas facile de s’y retrouver ! Disons que la biodynamie pousse la démarche bio plus loin, et que le vin naturel va encore plus loin que la biodynamie. Mais il n’y a rien à déduire quant à la qualité gustative. Sur ce terrain, il appartient à chacun de choisir.
Pour la biodynamie, les principes en ont été développés par Rudolf Steiner à partir de 1924. Le viticulteur suit le calendrier lunaire pour son travail de la vigne, il utilise pour soigner la terre des préparations homéopathiques et des traitements de phytothérapie (tisane d’ortie), et s’efforce de corriger en amont les déséquilibres qui créent des maladies avant qu’elles n’apparaissent. Contrairement aux vins bio (et non bio), la vinification biodynamique interdit par exemple l’utilisation d’acide citrique, tartrique ou lactique, de bicarbonate, de colle de pois- son, de gélatine, de gomme arabique, de levures et de copeaux de chêne. Les vins en biodynamie se retrouvent sous la certification Demeter.


Les vins naturels (ou natures) n’autorisent aucun ajout autre qu’un maximum de 30 mg/l de sulfites. Il existe une Association des vins naturels (AVN), mais aucune réglementation légale pour ces vins. Méfions-nous donc de ceux qui prétendent produire du vin naturel mais n’ont pas de certification AB ou Demeter.



Le vin bio est-il meilleur?
Le bio, on l’a dit, n’est pas une garantie de qualité gustative. Car le terroir et le travail créatif du vigneron n’entrent pas dans les critères. Néanmoins, les pratiques biologiques favorisent l’expression du terroir. Ce qui signifie qu’elles magnifient sou- vent le lieu, qu’on ne peut copier nulle part ailleurs. Une vigne implantée dans une biodiversité équilibrée, avec un sol vivant, transmet sa typicité au raisin. D’où parfois des arômes de garrigue ou de tilleul, selon l’environnement cultural.
Le délai requis de trois ans pour convertir une culture conventionnelle en culture biologique ne relève pas du



hasard. Il correspond au temps minimal pour que la plante puisse plonger ses racines dans le sol et ainsi retrouver son équilibre. L’enracinement profond permet de trouver le chemin vers les oligo- éléments et les minéraux qui la nourris- sent. A contrario, les vignes en chimie poussent à l’horizontale, à une dizaine de centimètres de la surface, et ne vont pas chercher ce qui pourrait forger leur identité. D’où l’expression plus nette des vins bio, que beaucoup de dégustateurs reconnaissent spontanément.
« Les vins bio sont incontestablement meilleurs que les vins produits en conventionnel », écrit Pierre Guigui, fondateur d’un concours annuel des vins bio depuis 1996, dans l’avant-propos de son Guide Amphore 2017 (La Martinière). Les bons vins bio sont souvent plus persistants et complexes, avec une matière plus dense. Celadit,ilyavinbioetvinbio.Gareà ceux qui n’expriment pas leur terroir, dit Bruno Quenioux, fondateur de PhiloVino et l’un des premiers découvreurs de ces vins. «Qu’il n’y ait pas de pesticides n’est pas suffisant. Le bio est devenu une tarte à la crème. Le cahier des charges des vinifications en biologie est très léger. Sous pré- texte qu’un vin bio est authentique, on nous fait boire les pires piquettes. »

Produit-on du vin bio dans toutes les régions?
Oui, mais en proportions très différentes selon le climat. Plus ce dernier est sec, plus le bio est présent. C’est donc le Sud (Languedoc, Roussillon, Provence, Corse) qui en produit le plus en France, car les étés chauds, secs et ventés favorisent l’état sanitaire de la vigne. Dans cette logique, alors que les vins bio représentent 8,7 % du vignoble national, le Vaucluse et le Gard en possèdent 20 %. L’Alsace est également une terre amicale pour le bio, car il y pleut moins que dans d’autres régions du Nord-Est. Il y a inversement plus de mérite à faire du bio dans des régions humides comme la Champagne ou le Bordelais. Certains prouvent que c’est possible. Mais les risques sont réels de perdre une partie de la récolte, voire plus. Ainsi, dans le Jura, Jacques Puffeney n’a jamais franchi le pas : « J’aurais voulu culti- ver mes vignes en bio, plutôt que de traiter en chimie. Mais à Arbois, la pression de l’oïdium est trop forte pour que la culture bio soit économiquement viable. Cette année, les vignerons en bio n’ont pratiquement rien récolté... »
Dans le Bordelais ou la Bourgogne, où l’on trouve les vins parmi les plus prestigieux, et aussi les plus chers, on hésite aussi à passer en bio tant les intérêts économiques sont lourds. Souvent, dans ces régions difficiles, la question pour la majorité des vignerons est moins de passer totalement en bio que de lui consacrer quelques parcelles, ou aussi de réduire les pesticides et autres produits. Avec des résultats controversés.
Enfin, un point délicat: surtout dans les régions aux climats humides, il est des vignerons qui suivent les règles sans être certifiés bio, afin de se réserver la possibilité, en cas de coup dur, d’utiliser des produits chimiques, et d’autres qui font du bio sans le déclarer pour ne pas être étiquetés comme tels. Mais Florent Guhl, directeur de l’Agence bio, relativise le phénomène : « Il y a dix ans, certains vignerons adoptaient ces pratiques sans demander la certification ou sans l’afficher sur l’étiquette, par crainte des réactions. Cela change radicalement. Désormais, ceux qui se revendiquent bio sans être certifiés ne le sont presque jamais à 100 %. »

Pourquoi le vin bio coûte-t-il plus cher?
Parce que travailler en bio induit de travailler plus pour produire moins. Ce qui n’est pas la meilleure façon d’aller au plus rentable et de pouvoir proposer une bouteille à prix serré. Partons de la vigne. Le vigneron qui bannit les pesticides doit travailler intensément sa terre et la sur- veiller. Le travail mécanique ou manuel est plus cher que la parade chimique. Selon des études, il faut au minimum 15 % de main-d’œuvre supplémentaire.
Ensuite, le rendement. Une vigne bio donne souvent moins de raisin qu’une vigne traditionnelle, or le ratio kilo/hectare joue son rôle dans le prix de la bouteille. Et puis, pendant la vinification, la prise de risque, et donc la perte de vin, est aussi plus élevée en bio qu’en méthode conventionnelle. Même si la vinification bio requiert moins d’interventions, elle demande plus de vigilance. Le vigneron doit également travailler dans une propreté absolue pour éviter les bactéries.
Enfin, la labellisation en bio a un coût annuel, versé à un organisme certificateur, qui contrôle l’exploitation une fois par an afin de pouvoir garantir au consommateur que le cahier des charges est respecté. Les parcelles, le chai, les livres de comptes, les cahiers de viticulture, tout est passé au peigne fin.




Reste que lorsqu’on pose la question du prix à Maxime Graillot, vigneron en bio à Crozes-Hermitage depuis plus de dix ans, ce dernier tient un discours aty- pique. « Si l’on se met du côté du consommateur, un vin bio n’est pas beaucoup plus cher qu’un autre. En tout cas, il y a plus d’écart de prix entre une carotte bio et une non bio qu’entre un vin bio et un non bio. Mais si l’on se met du côté du producteur, seule la lutte contre l’herbe coûte plus cher. C’est la seule différence : le coût humain du travail du sol. »

Peut-on faire du vin bio en grande quantité?
La norme est plutôt à la petite exploitation. C’est souvent lié au fait que nombre de vignerons sont jeunes dans le métier et se trouvent, pour des questions de moyens, à la tête d’exploitations modestes. Mais de nombreux domaines viticoles prouvent qu’on peut produire du vin bio sur de grandes superficies. C’est le cas dans le Languedoc. Et c’est vrai aussi en Champagne, où Roederer, dont le vignoble dépasse les 200 hectares, se fait un devoir de cultiver en biodynamie, parce que ses propriétaires en ont les moyens et pensent aussi que c’est le sens de l’histoire.
D’une génération à l’autre, les mentalités et les convictions peuvent changer. C’est le cas de la Maison Drouhin, en Bourgogne : « Oui, on peut faire du bio en grande quantité, affirme Véronique Drouhin. Nous le pratiquons sur nos 80 hectares, y compris sur nos 40 hectares de vignes à Chablis, où la pression de l’oïdium est plus forte. Pour mes frères et moi, la biologie était une évidence, mal- gré le scepticisme de notre père. Mais, comme nos résultats sont satisfaisants, il a changé d’avis. »
Citons encore le négociant Michel Chapoutier, dans le Rhône, à la tête de grands domaines en bio – il est vrai dans une région accueillante – et qui fait même réaliser un compost bio par une entreprise. On trouve enfin dans le Bordelais de prestigieux châteaux, comme Smith Haut Lafitte ou Pontet- Canet, qui possèdent d’imposantes surfaces de vignes en bio.

Le bio est-il bon pour la santé du vigneron ou celle du consommateur?
Le vin bio est meilleur pour la santé de son producteur, qui n’utilise pas de pesticides ou de produits de synthèse. C’est mieux aussi pour les consommateurs, qui ne boivent aucun résidu chimique. Mais le principal bénéficiaire est sans aucun doute possible le vigneron. Ainsi que les personnes qui vivent à proximité et les insectes qui s’activent autour. Car le pesticide est plus nocif pour celui qui le manipule que pour celui qui le boit en quantités résiduelles.
Deux chiffres disent tout : la vigne représente moins de 4 % de la surface agricole française, mais consomme environ 20 % des pesticides utilisés. Le Bordelais et la Champagne sont ainsi régulièrement désignés comme les deux points noirs de la carte des pesticides.
L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) estime qu’il existe un lien «entre l’exposition à des pesticides dans un cadre professionnel et certaines pathologies : maladie de Parkinson [reconnue en 2012 comme maladie professionnelle due aux pesticides chez les agriculteurs], cancer de la prostate et certains cancers (lymphome non hodgkinien, myélome multiple) ». Selon les représentants de la Mutualité sociale agricole (MSA), en novem- bre 2017, l’usage de produits phytosanitaires était responsable de 2 % des maladies professionnelles des agriculteurs.
L’effet des pesticides sur les personnes habitant à proximité des zones traitées est plausible, mais plus difficile à établir. Dans une étude de la qualité de l’air en Bourgogne, entre mai et août 2016, l’association Atmos’fair, agréée par le ministère de l’environnement, a détecté 25 molécules de fongicides, insecticides et herbicides, dont 8 interdites. Une thèse menée en 2017 par Sofiane Kab, chercheur à l’Inserm, montre une légère surreprésentation de la maladie de Parkinson chez les riverains de terres viticoles. Le directeur de la thèse, Alexis Elbaz, indique cependant que cette maladie est « multifactorielle ». Reste que, depuis 2014, les épandages de pesticides sont restreints aux abords des écoles et des hôpitaux.



Le vin bio ne pollue-t-il pas du tout?
Il pollue beaucoup moins que le vin traditionnel, mais un peu tout de même. Contrairement à ce que pensent la moitié des Français, nous apprend un sondage 2016 d’Alerte Environnement, les pesticides sont aussi utilisés dans l’agriculture biologique. En quantité moindre, et aussi sous la forme de molécules naturelles, mais qui sont potentiellement toxiques. Ainsi, la roté- none a été interdite en 2011 pour ses risques sur la santé de l’utilisateur. Quant au Pyrévert, insecticide recommandé contre la flavescence dorée, il tue tous les insectes du périmètre.
Il y a également le cuivre, naturel aussi, et donc autorisé. Il était présent dans 100 % des vins bio testés dans une étude publiée fin 2015 par la revue Agriculture et environnement. Le cuivre permet en effet de lutter contre le mildiou, une maladie qui affecte la vigne. Là encore, ce n’est pas tant le consommateur qui prend un risque: avec une moyenne de 0,16 mg/l, il faudrait boire 56 litres par jour pour atteindre la dose maximale recommandée. En revanche, en grande quantité, le cuivre est nocif pour le sol et sa vie microbiologique, et il peut appauvrir durablement la terre.
Le vin bio est surtout pointé du doigt pour son bilan carbone. Les agriculteurs utiliseraient plus fréquemment le tracteur dans les vignes. C’est logique: ils doivent travailler davantage les sols et leurs produits ont une plus faible rémanence. Mais il faut relativiser : dans l’activité du vin, les postes les plus lourds en émissions de gaz à effet de serre sont l’utilisation des bouteilles de verre et le fret routier jusqu’au consommateur. «Les vignerons bio ne sont pas parfaits, reconnaît Patrick Guiraud, président du salon Sudvinbio. Nous ne sommes pas à zéro pollution, mais nous faisons nettement mieux que la pratique conventionnelle. On évolue, on met au point des tracteurs électriques, on calcule des optimisations de nos passages dans les vignes. C’est dans notre philosophie de travail. »

Comment la législation sur le bio évolue-t-elle?
La réglementation européenne, applicable en France, pourrait être révisée avant 2020. Parmi les débats qui agitent le monde viticole, celui-ci : comment faciliter une meilleure qualité gustative sans adoucir les normes? C’est un enjeu central pour Patrick Guiraud : « La législation pourrait évoluer sur les moyens techniques de substitution. Il faut que nos vins tiennent la route. Mais on ne doit alléger en aucun cas les normes. »
Olivier Paul-Morandini, vigneron en Italie, membre du TOWA (Transparency for Organic Wine Association) et très actif dans les travaux du Parlement européen, s’inquiète des amendements discutés dans les couloirs : « Nous avons réussi à repousser un amendement défendu par un lobby qui visait à autoriser dans les vins bio 5 % de levures chimiques. Je me bats actuellement en faveur d’un autre amendement sur la transparence, pour faire figurer sur la contre-étiquette l’ajout éventuel de levures et une fourchette de la quantité de sulfites. »
Aux Etats-Unis, la certification National Organic Program (NOP) est l’équivalent de notre logo AB, tout en étant un peu différente. Elle contient trois niveaux selon la quantité de raisins bio, autorise un taux de sulfite inférieur à ce- lui de la France et exige que les parcelles se situent à au moins 6 mètres d’une parcelle non NOP.

Qui achète du vin bio?
Sans être uniforme, le profil de l’acheteur est en grande partie défini par le prix de la bouteille, plus élevé qu’un vin traditionnel. Du reste, ceux qui n’en achètent jamais dénoncent un prix prohibitif. Dans cette logique, les consommateurs réguliers de vin bio sont les plus diplômés et les plus aisés. Ils sont aussi plus jeunes que le consommateur traditionnel et habitent souvent dans les grandes villes. Autant de facteurs qui permettent à certains de cerner, un peu rapidement, un profil de bobo.
Ce profil vaut pour plusieurs pays d’Europe, selon une étude de l’institut Ipsos, réalisée en 2015 pour le compte du salon Millésime Bio, à Montpellier. Elle fut menée en Allemagne, en France, au Royaume-Uni et en Suède. Avec des différences sensibles d’un pays à l’autre. Si un tiers des sondés disent avoir déjà bu du vin bio, ce chiffre monte à 51,2 % en Suède, contre 35,8 % pour la France. Le vin traditionnel est majoritairement bu par des hommes, et le vin bio par des femmes : 50,5 % de consommatrices sur l’ensemble des quatre pays, avec une pointe de 54,3 % pour les Britanniques. En France, les femmes restent minoritaires, mais leur présence augmente, passant de 44,3 % à 46,3 % pour le vin bio entre 2013 et 2015. Les Français de moins de 35ans qui boivent du vin ne sont que 15 %. Mais ce chiffre monte à 21 % pour les bio. Ils le font essentielle- ment pour préserver l’environnement, pour leur santé et pour l’éthique de la filière. Les acheteurs britanniques de vins bio mettent en avant le goût – pour eux, il est meilleur. Mais attention, devant un rayon de vins bio, le critère premier du choix sera la région de production, l’appellation, le terroir.




Label bio
















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