Vega-Sicilia
Les mystères d’un vin d’exception
qui a entaché la succession du domaine familial en Espagne. Portrait d’un clan allergique
à la publicité.
C’est à la fois un vin et une légende. La seule marque de luxe espagnole. Possédant toutes les caractéristiques d’une signature haut de gamme, comme Ferrari ou Hermès. Beaucoup en ont entendu parler, mais peu y ont goûté. C’est un vin hors du commun. L’union de la tradition, de l’artisanat et de l’innovation. Né il y a 150 ans dans la vieille Europe, le Vega-Sicilia appartient à une famille, ce qui lui donne du cœur, des racines et une permanence. Il est convoité, rare, cher et intemporel. Sa genèse et son élaboration sont enveloppées de mystère. Et il n’est pas facile à obtenir.
Si vous n’appartenez pas au club des 3 500 élus (ceux qui en reçoivent une quotepart, dont 20 % sont des cavistes), vous devrez intégrer la liste d’attente jusqu’à ce que, un jour, vous ayez accès à quelques bouteilles à prix d’ami (jusqu’à 50 % moins cher qu’en magasin). Cela peut prendre plusieurs années.
Sa capacité de vieillissement est légendaire. Un Vega-Sicilia débouché après cinq décennies de repos est en meilleure forme qu’au moment de son élaboration. D’aucuns affirment que c’est une valeur plus sûre qu’un bon du Trésor. Avec une garantie : lorsqu’une récolte n’est pas bonne, une ou deux fois par décennie, elle n’est pas mise sur le marché. Elle se volatilise. Même si cela représente une perte de 15 à 20 millions d’euros. C’est la loi. La maison peut se le permettre. Elle a les reins suffisamment solides. Ses bénéfices avoisinent 40 % de son chiffre d’affaires, au même rang que de grands noms du luxe.
Le Vega-Sicilia est un mythe.
Pourtant, ses propriétaires, les Álvarez, n’ont jamais investi dans la publicité, se méfient du marketing et n’offrent jamais la moindre bouteille. Même la Moncloa [le “Matignon” espagnol] et le palais de la Zarzuela paient leurs factures, et aucun caprice n’y fait : il leur faut se satisfaire de la part qui leur a été accordée.
Le domaine a survécu aux guerres, aux maladies, à l’oubli et à la spéculation. Depuis 1915, Vega Sicilia a fait du vin sans discontinuer, en assemblant avec art des cépages espagnols et français. Le domaine a parfois frôlé le naufrage. Entre les années 1950 et 1980, il a dû prouver sa rentabilité face à l’orge, la pomme de terre, la betterave et le maïs, qui menaçaient de l’envahir. Il a changé de propriétaire trois fois pendant cette période et miraculeusement échappé aux griffes des vautours du vin industriel, prêts à transformer une production de seulement 300 000 bouteilles (réunissant trois cuvées : Valbuena, 100 euros la bouteille ; Único, 250 euros ; et Reserva Especial, 300 euros) en un tsunami de millions de litres sous le couvert de son prestige. Il a même survécu à la bataille fratricide qui, depuis 2009, divise la famille propriétaire en deux camps se disputant son contrôle – et ses armoiries, et ses profits. La mort, en novembre 2015, du patriarche David Álvarez Díez n’a pas refermé les blessures. Personne ne s’explique comment un vin inimitable peut naître chaque année de ce plateau argileux et calcaire surplombant le fleuve Douro.
Même Pablo Álvarez Mezquiriz, avocat à Bilbao, 63 ans, qui dirige le destin du Vega- Sicilia depuis plus de trois décennies, par décision irrévocable de son père et patron décédé, ne sait quelle magie est à l’œuvre dans son vin rouge, considéré comme l’un des dix meilleurs de la planète : “Il se passe dans ce vin une chose étrange que je ne sais pas expliquer. Il a en lui le vignoble, le terroir, l’altitude, l’extrême rudesse du climat ; les huit cents ans de tradition vinicole de cette région de la Castille, depuis les moines de Notre-Dame de Valbuena [du xiie au xvie siècle] ; la sélection clonale ; les dizaines de millions investis ; tous les soins portés, de génération en génération, par des ouvriers issus des mêmes familles accomplissant le même travail. Mais ce n’est pas tout. C’est un vin qui est vivant et qui a une âme. C’est ce qu’un sage japonais m’a dit un jour. Et j’aime beaucoup cette culture.”
Pablo Álvarez est un homme grand et discret. Allergique à la publicité. Sa sœur, Marta Álvarez, 51 ans, économiste et administratrice du domaine (et dont chaque bouteille porte la signature), le défnit comme “timide, consciencieux, loyal à la famille et à la marque, amoureux de Vega Sicilia”. Il arpente le jardin oriental qu’il a conçu au cœur de sa cave hermétique (elle n’est pas ouverte au public), au milieu de la steppe de Valladolid. Elle est gardée par des agents de sécurité de l’autre feuron de l’empire Álvarez, le groupe Eulen, qui fournit aux grandes entreprises des services de nettoyage, de sécurité, d’entretien et de logistique, réalise un chifre d’afaires de 1,5 milliard d’euros et fait travailler 80 000 personnes.
Pablo Álvarez porte l’un de ses costumes trois pièces confectionnés par son tailleur de confance à Madrid, Jaime Gallo (qui habille également le roi Felipe). Pour aujourd’hui, il a choisi celui avec d’immenses carreaux blancs sur fond bleu Klein, d’élégants souliers bicolores fabriqués sur mesure à Genève, une cravate française aux couleurs vives et une montre suisse. Il a appris à vivre avec sa calvitie, mais continue son combat contre la balance : “Je suis la moitié de l’année au régime pour lutter contre tout ce que je mange et bois durant l’autre moitié.” C’est l’inconvénient d’avoir une table dans tous les restaurants triplement étoilés de la planète. Il a des yeux bleu profond, hérités de son père David Álvarez, mort il y a deux ans sans avoir fait la paix avec lui ni quatre autres de ses sept fils (auxquels il a légué la part d’héritage qui leur revenait et pas un sou de plus, pour une valeur représentant un tiers de sa fortune ; les deux tiers restants sont allés à sa fille María José, sa complice jusqu’au dernier soufe), et un sens aigu de l’humour qui contraste avec son visage grave. Comme lorsqu’il affirme que “le principal problème des entreprises familiales, ce sont les familles”. À Vega Sicilia, il est simplement don Pablo.
Non, Pablo Álvarez ne prend pas de risques. Et grâce à cela, à sa façon de diriger l’entreprise, à son intégrisme dans la défense du nom et de l’héritage de Vega Sicilia, il a réussi à faire jouer son vin dans la ligue du luxe mondial. À ce que les demandes pour ses millésimes soient chaque année trois fois supérieures à l’offre. Et à construire un groupe solide avec des vignobles dans la Ribera del Duero (Alión), en Hongrie (Tokaj-Oremus et Mandolás) et dans les régions de Toro (Pintia) et La Rioja (Macán, avec le milliardaire Benjamin de Rothschild), où tout est fait comme à Vega Sicilia (bien que sans les raisins de Vega Sicilia). À vendre plus d’un million de bouteilles au total, pour un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros.
Assis à l’immense table ronde polie comme un miroir qui trône dans la salle à manger du manoir à la française du xixe siècle de l’hacienda Vega Sicilia, attaquant d’une mine contrite une assiette de chou-feur bouilli (en lorgnant du coin de l’œil les lasagnes au boudin de ses invités), il fait une déclaration de principe : “J’avoue que je n’aime pas le marketing. C’est pour moi l’art de tromper le consommateur. Je n’en ai jamais fait, cela ne m’a jamais intéressé. Pendant plus de trente ans, je me suis concentré sur la qualité. J’ai vécu ici, seul, loin de tout, et je me suis battu pour faire un vin toujours meilleur. Et le Vega-Sicilia est meilleur que jamais. Il n’a pas changé mais il a évolué. Je ne fais que transmettre ce que nous faisons. Je n’invente rien du tout.
– Quel est le secret d’un grand vin ?
– Un grand vignoble. Le vin se fait dans les vignes, pas dans les caves. C’est pourquoi je me suis débarrassé, il y a trente ans déjà, des produits chimiques, des herbicides et des engrais. Nous avons également efectué un énorme travail de classifcation des sols, d’étude génétique et de sélection dans notre vignoble (que nous avons divisé en 54 parcelles), qui sera déterminant dans les cinquante prochaines années. L’identité d’un vin est dans la vigne, pas dans les poudres. Il faut aussi avoir de la patience : si ce que vous voulez, c’est gagner de l’argent, vous ne ferez jamais un grand vin. Nous ne pouvons pas faire davantage de bouteilles de Vega-Sicilia. Pour cela, il faudrait baisser la qualité. Et je ne le veux pas.
– Vous ne voulez pas gagner de l’argent ?
- Pas si cela tue la marque. Dès le début, mon père m’a laissé prendre les décisions. Le domaine ne l’intéressait pas. Il rapportait de l’argent, mais pas autant qu’aujourd’hui. Il me gardait ici, loin de Madrid, hors d’Eulen, parce que j’étais très critique. Vous savez, je pense que l’achat du domaine Vega Sicilia en 1982 par notre famille a été une bonne chose, parce que nous ne dépendions pas du vin pour vivre. Nous l’avons vu comme une mission. Nous ne venions pas de ce monde, nous avions une mentalité plus ouverte et plus libre. Les exploitants viticoles disent beaucoup de mensonges. Nous, nous faisons cavaliers seuls.”
Il a appris le métier à partir de zéro et dit avoir basé ses décisions sur le bon sens. Et sur la défense de sa marque contre tous et contre tout. Il a choisi de faire de l’agriculture biologique et, dans les années 1980, de refuser les clones de cépage tempranillo, à haut rendement, qui étaient en train d’envahir, d’appauvrir et d’uniformiser le vignoble espagnol. À la place, il a misé sur son propre matériel végétal, vieux d’un siècle. Que nous pouvons admirer par cette matinée d’hiver glaciale en arpentant, avec le magicien de la vigne Enrique Macias, la parcelle Hontañón, l’une des plus anciennes du domaine. Elle a été plantée en 1910, et c’est une véritable banque génétique de variétés qui sont clonées en Bourgogne puis replantées sur les terres du domaine, où elles mettront plus de dix ans à faire du Vega-Sicilia.
Pablo Álvarez nie à nouveau catégoriquement avoir jamais été expert en marketing. Mais la réalité est que, sans le savoir, il a utilisé pour gérer Vega Sicilia la même stratégie que celle déployée par deux patrons mythiques de l’industrie du luxe, Bernard Arnault et Domenico De Sole, pour défendre leurs marques (respectivement Dior et Gucci), rehausser leur prestige, et les rendre désirables et très rentables. De Sole, qui a sorti Gucci du cloaque de franchises, de licences et d’hyperproduction dans lequel une famille en déliquescence l’avait enfoncé, nous l’a lui- même expliqué à Milan : “Le secteur du luxe, en plus du glamour, présente beaucoup d’avantages. Il offre les marges les plus élevées. Mais il y a un moment où l’on atteint la limite, et on ne peut pas grossir davantage, à moins de mettre la barre plus bas et de fabriquer des produits de moins bonne qualité. Il ne faut jamais faire cela. Le principal atout d’une marque de luxe est son nom. Si elle perd son caractère exclusif, plus personne ne sera prêt à payer une grosse somme pour ses produits.”
Les raisons qui ont poussé le patriarche de la famille, David Álvarez, patron dans un secteur aussi peu glamour que le nettoyage, à acheter en 1982 une cave, un manoir pastel et 1 000 hectares de terres à ses propriétaires, les Neumann, une famille de Juifs tchèques vivant au Venezuela, ne sont pas claires. “Mon père était un visionnaire avec beaucoup d’audace, explique Marta Álvarez. Avec Eulen, il a été le premier à comprendre que, dans l’économie moderne, les grandes entreprises allaient devoir externaliser leurs services. Et il a fait fortune. Il a vu dans Vega-Sicilia une marque de luxe qui pouvait rapporter de l’argent. Ce n’était pas quelqu’un de sophistiqué, mais ce que l’on appellerait aujourd’hui un homme d’affaires. Le problème était qu’à ses yeux l’entreprise et la famille étaient la même chose.”
Comme tous les grands hommes d’afaires, David Álvarez est parti de rien. Né à Crémenes, un village de la province de Léon perdu au milieu des Pics d’Europe, il a émigré à l’âge de 9 ans avec sa famille à Bilbao. Bien que n’ayant pas fréquenté l’université, il a ouvert dans les années 1940, alors qu’il n’avait que 19 ans, une école pour les candidats aux concours de la fonction publique. En 1962, il a fondé une entreprise de nettoyage, Central de Limpiezas El Sol, qui deviendrait plus tard Eulen. Dans les années 1970, il a commencé à gagner de l’argent et à côtoyer la haute bourgeoisie de Bilbao. Il a emménagé dans son luxueux fief de Neguri et s’est fait construire un yacht. C’était un homme dur, avec un style de gestion très paternel. Dans son entreprise, il était Dieu. Soucieux de ses employés. Toujours bronzé et tiré à quatre épingles. Avec des yeux bleu acier, un discours populiste et un grand appétit pour les plaisirs de la vie. Un membre de sa famille le définit comme “un charmeur de serpents”. Il distribuait des dons pour sa plus grande gloire, notamment à la Fondation Miguel Delibes [créée en 2011 pour faire vivre l’œuvre du célèbre écrivain espagnol décédé en 2010] et une école de l’Opus Dei à León, finançait des aides aux prostituées et aux toxicomanes, et a fondé la marque de viande Valles del Esla, une entreprise à visée sociale avec laquelle il voulait relancer l’activité économique de sa région, le León, en faillite depuis la fermeture des mines. Cette création s’est soldée par 40 millions de pertes et une marge brute négative catastrophique. Ce qui ne l’a pas empêché de se retrouver à la fin de sa vie avec une fortune estimée à 500 millions d’euros.
L’une de ses plus belles réussites a été de s’entourer d’un impressionnant cercle d’infuence, incluant deux chefs de la Maison du roi (Sabino Fernández Campo et Rafael Spottorno), le roi d’alors, Juan Carlos lui-même (qui l’a fait marquis en 2014), des banquiers, le président de l’organisation patronale espagnole (José Maria Cuevas) et, surtout, des dirigeants du Parti populaire [la formation de droite actuellement au pouvoir à Madrid].
En 1978, la famille a dû abandonner le Pays basque du jour au lendemain, à cause des chantages exercés par [l’organisation terroriste] ETA. “Nous avons nous aussi été victimes du terrorisme”, se souvient sa fille Marta. David Álvarez et son épouse, María Vicenta Mezquiriz, avec leurs sept enfants se sont installés à Madrid, d’abord dans un hôtel, puis dans une demeure cossue du quartier chic de La Florida. Dans ce quartier, toutes les rues avaient des noms basques.
En 1982, Don David servait d’intermédiaire dans la vente de Vega Sicilia. Il avait deux acquéreurs : un groupe suisse et un autre britannique. Sans crier gare, il les a doublés et a acheté le domaine. Il a déboursé 500 millions de pesetas de l’époque, en empruntant à 20 % de taux d’intérêt et en mettant les actions mêmes de Vega Sicilia comme garantie. L’achat ne s’est pas effectué avec des fonds d’Eulen, mais au nom d’une société patrimoniale, baptisée El Enebro [le genévrier], qu’il avait créée avec son épouse en 1976. Onze ans plus tard, après la mort prématurée de María Vicenta Mezquiriz (qui selon ses enfants était l’âme de la maison), la dissolution du régime matrimonial a fait de leurs sept enfants les nouveaux propriétaires d’El Enebro (et donc de Vega Sicilia) à parts égales. Don David s’était cependant réservé à vie le contrôle du conseil d’administration et la moitié des bénéfces juteux du domaine. Cette clause a donné le coup d’envoi aux hostilités familiales. La majorité des actions et le contrôle d’Eulen étaient également restés entre ses mains.
La guerre entre les Álvarez a commencé à l’automne 2009, après que le patriarche eut convolé en troisièmes noces. À l’âge de 82 ans, et alors que personne ne s’y attendait, il a décidé de reprendre les rênes de l’empire familial et écarté sans ménagement son fils Juan Carlos Álvarez de la direction d’Eulen. À partir de ce moment, les deux camps (cinq de ses enfants dans l’un et María José et son père dans l’autre) ont tour à tour sollicité les tribunaux pour déposséder l’autre du contrôle soit du domaine viticole d’El Enebro, soit d’Eulen. Après cinq ans de batailles juridiques et de procès devant tous les tribunaux, aucun n’a vraiment décroché la victoire. Ils ont fait match nul. David Álvarez est mort en 2015 au milieu de sa course vers nulle part. Par décision testamentaire de son père, la fidèle María José, sa troisième fille, est aujourd’hui à la tête d’Eulen, dont elle a écarté ses frères. Quant aux cinq “insoumis”, comme les surnommait leur père, ils sont unis comme les doigts de la main à El Enebro, dont ils ont écarté leur sœur María José.
Le septième fils, Jésus David, l’aîné auquel son père disait vouloir donner le contrôle de l’empire familial dans les années 1990 (il l’appelait en public “mon dauphin”), a été la première victime de la bagarre. Il n’a aujourd’hui plus aucune action d’El Enebro. Lorsque le roi Juan Carlos, à peine un mois avant d’abdiquer, a appelé Don David pour lui annoncer qu’il allait lui accorder un titre de noblesse, celui de marquis de Crémenes, il a répondu qu’il voulait emporter son titre dans sa tombe et qu’aucun de ses enfants n’en hérite. Ce cas ne s’était présenté que deux fois sous le règne de Juan Carlos, mais les deux bénéfciaires étaient sans descendance : Salvador Dalí et l’universitaire Carmen Iglesias. Dans sa dernière interview, David Álvarez ne nie pas avoir pris cette décision radicale, mais il ne dit pas toute la vérité : “J’ai un problème avec plusieurs de mes enfants qui sont sortis de ma juridiction en voulant faire cavaliers seuls sans mon autorisation. Le roi sait cela, et comme il ne sait pas qui est avec moi et qui est contre, j’imagine qu’il s’est demandé qui allait récupérer ce titre. C’est pourquoi il n’est pas héréditaire.”
Pendant soixante-dix ans, don David a triomphé dans les affaires mais n’a pas réussi à organiser sa succession. “Mon père avait préparé sa retraite, mais il ne l’a jamais vraiment prise parce qu’il vivait pour travailler, explique Marta Álvarez. Lorsqu’il a fait marche arrière et a voulu reprendre le pouvoir, beaucoup ont été surpris. Je pense qu’il a été envahi par l’inquiétude à cause de son âge et, surtout, parce qu’il était sous de mauvaises influences.” La guerre de succession dans la famille Álvarez est un vrai manuel de gouvernance d’entreprise. Y compris le coup d’État de David Álvarez pour reprendre le contrôle de l’empire.
Selon la chaire Entrepreneuriat familial de l’IESE [Institut d’études supérieures de commerce], il y a plus d’un million d’entreprises familiales en Espagne. Seules 30 % d’entre elles restent entre les mains de la deuxième génération, et à peine 5 % appartiennent encore à la troisième.
Celles qui survivent le peuvent parce que la succession du fondateur (chef et propriétaire) suit un protocole établi noir sur blanc.
C’est ce défi qui attend Pablo Álvarez. Il a déjà créé à Vega Sicilia une petite équipe de conseillers (Gonzalo Iturriaga pour l’œnologie et Antonio Menéndez pour l’expansion internationale) afin de commencer à déléguer. “Avec mes frères et sœurs, nous devons tous les cinq établir un protocole très précis, dit-il à voix basse en se promenant dans la cave silencieuse, couvert d’un élégant manteau de gentleman- farmer. Tout stipuler clairement. Par écrit. Pour que l’histoire ne se répète pas. Tout doit être prévu, la transmission des actions, qui va travailler dans l’entreprise, même si c’est au poste de chauffeur, les modalités de nomination du PDG. J’ai décidé de prendre ma retraite à 70 ans. On verra bien ce qui se passera. Ce ne sont pas les offres d’achat qui manquent...”
On ressort de Vega Sicilia comme on y est entré : les mains vides. C’est la coutume de la maison. Un voyageur passé par l’hacienda l’avait déjà écrit en 1967 : “Moi qui espérais boire un bon verre de vin ou deux à Vega Sicilia, tintin ! Le vigneron ne se fend que d’un galopin [12 cl] qu’il tire d’un petit tonneau. Je n’ose même pas le supplier d’en rajouter une goutte. Impossible. Je dois respecter son autorité et partir sans rouscailler. C’est ça, Vega Sicilia.”
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